Pour un autre urbanisme à Toulouse : positions de l'Union des Comités de quartier [1983]

27 mars 2025 - par Collectif de Radiographie Urbaine

La multiplication des constructions, l’implantation de nouvelles activités, la réorganisation des circulations, les destructions… Les motifs de mobilisation ne manquent pas dans la ville bouleversée par l’aménagement. Pourtant, il faut attendre le début des années 1970 pour assister à une organisation de la contestation. Des groupes, associations, comités formés à la faveur de question ponctuelle et localisé tentent de se coordonner pour gagner en force. Le propos est marqué par une volonté de conflictualité parfois teinté d’une analyse marxiste. Nous reproduisons ici un texte écrit par un membre de l’UCQ.

Cet article écrit par C. Béringuier pour la Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest en 1983. Géographe, enseignant chercheur, Christian Béringuier à participer à de nombreuses luttes urbaines en mettant son expertise au service des luttes. Vous pouvez l’entendre racontez un peu de cette histoire dans le documentaire La forme d’une ville, hélas… Ici il explicite les actions et les but de l’Union des Comités de Quartier [1].
Il fait partie d’une série de texte rassemblée en une Chroniquequi, selon ses auteurs « rassemble des documents : témoignages, positions, extrapolations, relatifs à des faits ou à des projets dont il peut arriver que les géographes aient à tenir compte quand ils abordent l’étude d’une grande ville en cherchant à saisir la signification de ses transformations. »
Nous le republions ici pour donner, à nos lecteurs et lectrices, directement accès à la parole et aux analyses des personnes qui ont animé ces luttes.
Des illustrations et des notes explicatives noté NdE ont été ajouté pour cette édition.

Dégradation de l’environnement urbain et luttes urbaines à Toulouse.

a. A l’agression générale contre les conditions de vie des Toulousains opposons une défense globale.

Toute menace, toute agression locale font partie d’un plan d’attaque générale. Quelques exemples suffisent à le montrer [2].
Les autoroutes urbaines, rocades et pénétrantes, nuisibles par le bruit, la pollution, les embouteillages, les dangers pour les piétons et les cyclistes, entrent dans une politique de la circulation urbaine donnant la priorité au transport individuel qui défavorise la plupart des Toulousains.
La rénovation des quartiers centraux, l’expulsion des couches populaires vers les banlieues sous-équipées et les communes dortoirs, la concentration dans le centre des activités culturelles sont dues à un urbanisme fondé sur la ségrégation sociale par l’argent.
Ce sont donc des défenses globales et coordonnées qu’il faut développer. Aussi les associations de la région toulousaine agissant pour la défense et la transformation du cadre de vie, sur l’acquis des expériences lancées depuis 1970, jugeant qu’elles devaient dépasser leurs objectifs particuliers, ont-elles décidé de coordonner leurs actions en créant en 1976 l’Union des comités de quartier et des associations de défense et d’action pour le cadre de vie à Toulouse (UCQ). Ses 25 associations ont été depuis plus de 10 ans pour des milliers de Toulousains des lieux de débat, de lutte, de propositions permettant de formuler des réponses d’ensemble aux problèmes des conditions de vie des Toulousains. L’UCQ a porté sa réflexion sur la vie des quartiers, l’habitat, les transports en commun, la spéculation foncière, la ségrégation sociale, la pollution ambiante, l’environnement urbain, l’urbanisme. Les actions menées par l’UCQ vont dans ce sens.

b. Les luttes de l’UCQ.

  • L’UCQ a lutté avec les habitants de la ZUP [3]] de Rangueil contre le manque d’équipements et la densification de la ZUP au profit des promoteurs détournant l’application des lois d’urbanisme à leur avantage. Les résultats obtenus prouvent que l’action commune a été payante.
  • L’UCQ a lutté avec les habitants du Récébédou qui refusaient une rénovation de leur cité multipliant par dix le prix des loyers, alors qu’ils ont montré qu’il était possible de réaliser une vraie réhabilitation de leurs logements à peu de frais et en prenant en compte leurs besoins.
  • L’UCQ a lutté contre le massacre des quartiers périphériques par les rocades et les autoroutes urbaines à côté des habitants d’Empalot, de Jules-Julien, de Rangueil, de Lalande.
  • L’UCQ a lutté avec les habitants du quartier Saules - Viadieu - Bûchers contre la privatisation des espaces verts par les promoteurs en faveur desquels la mairie, modifiant les règlements d’urbanisme, leur accordait ce qu’elle refusait aux habitants du quartier depuis dix ans : l’usage des jardins.
  • L’UCQ a lutté avec le Comité des Berges de la Garonne et avec celui des Berges du Canal contre l’envahissement de l’usage de l’automobile privée en ville, contre les voies sur berges qui auraient massacré les sites du Canal et de la Garonne.
  • L’UCQ a lutté pour qu’une véritable politique des transports assure un réel service social auprès des habitants en permettant en particulier des liaisons inter-quartiers directes inexistantes aujourd’hui.
  • L’UCQ a lutté avec les MJC et les associations des différents quartiers contre le contrôle culturel imposé par la municipalité.
  • L’UCQ a lutté avec les MJC et les associations des différents quartiers à l’initiative des habitants : Rangueil, Saouze-Long (Serres de la ville), quartier Nord (Ateliers du temps libre), Fontaine- Lestang, Récébédou (espaces verts et sportifs).
  • L’UCQ a soutenu des associations de quartier pour l’élaboration de divers projets d’aménagement local.
  • L’UCQ et ses associations ont lutté lors de l’élaboration du POS [4]] » de Toulouse. Après étude des projets concernant leur quartier, les comités ont tenu des réunions publiques, animé des débats sur le centre-ville ; ils ont affirmé des oppositions argumentées, des revendications précises, les désirs des habitants. L’UCQ a réalisé une exposition itinérante et a pris publiquement position.
  • L’UCQ a lutté contre le projet d’hypercentre que veut imposer la municipalité à Compans-Caffarelli. Elle a élaboré un contre-programme.

Grâce à ces luttes et à bien d’autres plus quotidiennes, moins spectaculaires, l’UCQ, forte d’une longue expérience collective, a une position très claire sur l’urbanisme toulousain. Son niveau de réflexion l’autorise à intervenir dans toutes les opérations d’urbanisme relatives à l’agglomération.

Bande dessinée paru dans la gueule ouverte n°58 juin 1975

2. Non à un urbanisme du profit, du mépris, de contrôle social et de prestige.

a. Un urbanisme de profit.

L’urbanisme offre la meilleure part aux promoteurs. Le Refuge, Jean­Jaurès, Marengo, Le Raisin ne sont que les cas les plus scandaleux. Car la logique générale du POS est, d’une part, de planifier le marché foncier pour le bénéfice des groupes immobiliers, d’autre part, de leur rendre de véritables services gratuits en leur permettant de construire sur des terrains rendus constructibles par les ouvrages de voirie et de réseaux (eau, tout-à-l’égout) réalisés dans le cadre du POS financés par la municipalité et donc par les Toulousains. Donc, trois phases : d’abord, telle zone est déclarée inconstructible par le POS ; ensuite, les promoteurs achètent à bas prix ces terrains et la mairie les viabilise afin de les rendre constructibles ; enfin, les promoteurs construisent et s’enrichissent : bénéfices maximum. C’est l’urbanisme libéral.
L’urbanisme à Toulouse satisfait les grosses entreprises industrielles et commerciales. Le schéma de circulation leur apporte gratuitement et devant leur porte tous les avantages des liaisons rapides. Ainsi, au nord de Toulouse, la « pénétrante nord » sera quasiment au service des entreprises. Là encore, des dépenses publiques alimentées par tous pour augmenter les profits du patronat.
L’urbanisme toulousain sacrifie les transports en commun. Le choix de l’automobile comme moyen prioritaire de déplacement garantit aux trusts du pétrole, de l’automobile, des assurances, l’accroissement de la demande et de leurs profits. Radiales, rocades, pénétrantes et autres autoroutes urbaines ont cassé et casseront les quartiers de Toulouse, en particulier les cités HLM (Empalot, Bagatelle, Rangueil), Lalande et les berges du Canal et de la Garonne. Au centre-ville, les parkings en projet (Daurade, Jean-Jaurès, Compans, Jules-Guesde, Saint-Cyprien), s’ajoutant aux parkings récents, aggraveront les difficultés de la circulation urbaine. L’urbanisme toulousain ne prévoit rien de sérieux pour l’amélioration et le développement des transports en commun en leur refusant la priorité.
Sous prétexte de bon fonctionnement et d’utilité publique, l’urbanisme toulousain légitime rénovations et démolitions. Et toujours au détriment des classes populaires. La transformation du centre de Toulouse en un « centre ville de qualité » le destine aux catégories sociales les plus riches, vu le prix de l’habitat dans les immeubles rénovés. Habitat de luxe, équipements culturels de haut standing, commerces luxueux, cadre de vie protégé… l’utilité publique est bien souvent l’utilité des gros intérêts particuliers.

b. Un urbanisme du mépris.

Le mépris des Toulousains est un autre fondement politique de l’actuel urbanisme. La municipalité et l’administration (Equipement) poursuivent des travaux malgré l’opposition de nombreux habitants, qui, de plus, provoqueront de multiples dégâts : rocade sud à Rangueil et Saint-Agne, autoroute à Lalande. Demain, les berges de la Garonne ?
L’urbanisme toulousain, rejette les familles des travailleurs, les immigrés, les jeunes et vieux travailleurs de plus en loin en périphérie. Hier, chassés de Saint-Georges ou du Busca, aujourd’hui de Saint-Aubin, des quartiers entre le Capitole et la Garonne, demain d’Arnaud-Bernard et de Saint-Cyprien, ils sont expulsés, dispersés, regroupés en banlieue dans les cités, isolés dans le pavillonnaire.
La mise en place du POS à Toulouse témoigne de la constance de ce mépris envers les habitants. C’est dans les commissions feutrées du SDAU [5] que les choix essentiels ont été décidés, les seuls « usagers » représentés étant le patronat (les « intérêts économiques »). C’est dans les ateliers d’urbanisme que les responsables techniques ont en secret concrétisé ces choix. Quand tout est décidé, la municipalité commence son opération démagogique : faire participer les Toulousains sans leur donner les moyens de débattre et en leur cachant que les décisions principales sont définitives. (Voir Capitole – Informations : « Toulousains, aidez-nous à faire le POS »).
L’enquête publique est donc un simulacre de consultation car elle intervient quand tout est fait. C’est plus, une enquête bureaucratique : elle a duré deux mois, ouverte seulement les jours ouvrables de 8 h 30 à 17 h. Excellents horaires pour ceux qui travaillent ! De plus la commission d’enquête est uniquement formée de fonctionnaires de l’Équipement à la retraite : curieuse façon d’associer les habitants à l’urbanisme de leur ville ! En outre, la présentation des documents du POS ne répond qu’à la seule obligation légale : les cartes et autres plans, difficiles à décoder, sont faits pour ne pas être facilement compris par la plupart des gens. Pendant leur permanence, les commissaires-enquêteurs, à défaut d’expliquer le contenu réel du POS, se contentent de consigner les réclamations individuelles des visiteurs. En effet l’enquête ne reçoit pas juridiquement les critiques de fond car elles sont considérées comme relevant de la philosophie ou, pire encore, de la politique. L’enquête publique s’adresse prioritairement aux individus et donc à leurs intérêts particuliers ; elle défavorise la participation collective où se fait une réflexion en commun. Où est l’utilité publique d’une telle parodie ?
Il faut ajouter que les promesses faites par la municipalité au cours des réunions d’information sur le POS ont, la plupart du temps, disparu du POS définitif. Ainsi les documents provisoires indiquaient-ils pour les berges de la Garonne : « les bords de la Garonne dont les traitements peuvent être divers : jardin public ou quais bordés d’immeubles »… Ce qui garantissait quelque peu le devenir des berges a disparu du POS définitif. Le pouvoir abuse les habitants en indiquant les projets sans aucune garantie de réalisation : 90 km de pistes cyclables, sans moyen financier pour les réaliser ; 300 espaces réservés, avec peu de moyens pour que la municipalité puisse les acheter. Là aussi, véritable abus !
Les silences du POS révèlent la nature politique de l’urbanisme toulousain : rien sur le logement ; peu de sérieux sur les transports en commun ; rien sur les équipements de quartier. Ainsi le POS est-il l’inverse d’un projet concret pour améliorer les conditions de vie en ville pour les classes populaires de Toulouse. Opposée sur le fond au POS de Toulouse, l’UCQ a donc refusé de prendre part à l’enquête publique.


c. Un urbanisme de contrôle social.

Plusieurs faits relatifs aux activités culturelles à Toulouse ont attiré l’attention de l’UCQ. D’abord, la mise en place de premiers centres d’animation dans les quartiers : celui de Reynerie le plus ancien, celui de Bagatelle, à la place d’une MJC supprimée, ceux de la Terrasse, de la place Pinel, de la Daurade ; ensuite, de nombreux projets dans les quartiers d’Ancely, de Saint-Cyprien, des Minimes annoncent la volonté de la municipalité de couvrir Toulouse de centres d’animation de quartier. Enfin, d’autres faits, la disparition de six MJC à Toulouse, la volonté de supprimer celles d’Empalot, de Roguet, le fichage des adhérents des centres culturels municipaux, la difficulté pour les associations à obtenir des locaux – l’UCQ est bien placée pour le savoir, devant le refus permanent de la Mairie à lui en accorder – ont amené l’UCQ à réfléchir collectivement avec les MJC de Toulouse sur le projet municipal des Centres d’animation de quartier.
L’objectif de la municipalité est de normaliser l’animation, de contrôler la vie culturelle : en quadrillant la ville, contrôler les habitants. Pour commencer, concurrencer les lieux d’animation existants, plus ou moins autonomes vis-à-vis de la Municipalité, par des centres d’animation dotés de gros moyens. Ensuite, supprimer les premiers. Et donc exercer une tutelle plus pesante, d’autant que l’information du secteur culturel au niveau de la gestion et des adhérents vise à subordonner toutes les décisions au contrôle de la Mairie. Avec ses antennes, mairies annexes de quartier, bibliothèques municipales annexes, centres sociaux, elle complètera son quadrillage de la ville par les centres d’animation afin de contrôler la vie des habitants dans leur quartier. Or, ce projet est susceptible d’une réalisation rapide car la mairie dispose de très nombreux locaux, partout, dans toute la ville.
L’UCQ a donc observé de plus près le projet des centres d’animation de quartier. Ceux-ci sont dirigés par un comité technique qui définit et guide l’animation ; ce comité est présidé par le Maire. Par contre, la commission d’animation, où les associations et les adhérents sont présents, n’est que consultative. Toujours pareil, on fait participer les habitants et leurs associations à la consultation tandis que la décision est prise ailleurs : les habitants sont toujours exclus.
En plus de cette tentative de contrôle social, l’uniformisation des centres d’animation s’insère dans une politique culturelle hiérarchisée visant à mieux distribuer la consommation culturelle. A Toulouse, quelques gros centres culturels municipaux (Croix-Baragnon, Compans-Caffarelli, Belle­ fontaine), sont des lieux de consommation de prestige et lieux de distribution de la commission culturelle tandis que les petits centres de quartier seraient les lieux d’une consommation planifiée, de simples succursales. Ceci est en contradiction avec les positions de l’UCQ qui revendique l’autonomie des associations vis-à-vis de l’Etat et des municipalités et le fonctionnement des équipements de quartier par les habitants eux-mêmes.

Bande dessinée dénonçant la politique du POS et appel une réunion publique - Avril 1978

d. Un urbanisme de prestige pour imposer des projets de classes.

Avec ses 17 hectares au centre-ville, la libération des casernes Compans­ Caffarelli offre la plus grande possibilité d’urbanisme que Toulouse ait connue depuis longtemps. Aussi le projet d’aménagement municipal de cet espace exprime des choix politiques et sociaux auxquels s’oppose l’UCQ. L’aménagement de Compans-Caffarelli concerne directement des quartiers du centre-ville et donc des milliers d’habitants dont la vie quotidienne sera modifiée. Mais il concerne aussi l’ensemble des Toulousains qui, de la périphérie, assisteront à la mise en place d’un aménagement qui se fait sans leur avis. C’est pourquoi l’UCQ dénonce le type de procédure suivie. Il n’y a eu aucune consultation populaire. Cette fois-ci, la population toulousaine n’a même pas eu droit au simulacre de consultation du POS. Même les élus de l’opposition PS-PC au Conseil municipal ont été tenus à l’écart de l’élaboration du concours dont l’enjeu est tel que le Maire a craint d’ouvrir un débat au sein des instances communales élues. Sans discussion, sans débat public, le concours d’aménagement où le programme de l’opération a été imposé d’emblée, concrétise une procédure du secret. En outre, le projet de la Mairie a un contenu inacceptable. L’UCQ est opposée à un projet qui n’est que la poursuite de l’aménagement capitaliste de Toulouse. La « rénovation » du quartier Saint-Georges a sanctionné le zonage de la ville, opposant un centre de gestion, d’habitat de luxe à une périphérie de grands ensembles et de banlieues éloignées, sous équipées, mal reliés entre eux et au centre-ville. Cet aménagement se poursuit par une réhabilitation au coup par coup des vieux immeubles au centre-ville qui accélère cette ségrégation sociale. Compans-Caffarelli s’inscrit dans cette politique de classe, par la mise en place d’un « hypercentre » de gestion, de commandement et de prestige (cité administrative, Palais des congrès, Opéra) et de contrôle social (police, centre culturel municipal). Cet hypercentre renforcera la congestion des quartiers du centre, créera un phéno­mène de « city » déserte la nuit. Il accentuera l’organisation de la ville au profit de l’usage de l’automobile par la construction d’un vaste parking drainant vers le centre de Toulouse des milliers de voitures supplémentaires. En plus, la création d’un jardin de 10 hectares valorisera la position des quartiers environnants où la réhabilitation des immeubles sera une nouvelle source de profits et de ségrégation sociale. Quant aux locaux libérés en plein centre par les administrations qui iront à Compans­Caffarelli, leurs futures affectations sélectives et de prestige renforceront la politique de centralité.
C’est donc plus la logique d’ensemble du projet municipal que l’UCQ condamne que le contenu des détails du programme. Ce n’est pas tel ou tel équipement en soi, pris à part, qui est à refuser ou à accepter – un théâtre « à usage de tous » est souhaitable de même qu’une grande salle de réunion et non pas de conférences – mais c’est l’accumulation, la concentration de toute une série d’équipements conçus dans une orientation d’un centre de prestige et de commandement qui donnent au projet un contenu et une signification sociale différents de ce que souhaitent la majorité des Toulousains. Et les incidences de ces choix sont elles aussi critiquables. Des phénomènes similaires à ceux observés autour du quartier Saint-Georges, le long des allées Jean-Jaurès, dans le quartier de la Bourse et des quais de la Garonne vont se produire autour de Compans-Caffarelli et certainement d’une manière amplifiée : valorisation d’un site par l’entrée en jeu de la promotion immobilière, par la montée vertigineuse des prix qui sont, entre autres, les éléments constitutifs d’un urbanisme de classe expulsant du centre les habitants aux faibles revenus et leur interdisant ensuite l’accès au centre rénové parce que les loyers très élevés et la nature des équipements mis en place ne correspondent pas à la réalité de leurs besoins.

Tract "pour une autre politique" édité par l’UCQ certainement pour les élections municpales de 1977

3. Pour une politique urbaine contrôlée par les habitants.

a. De nouveaux droits pour les habitants.

Pour rompre avec cet urbanisme qui organise la ville pour les industriels, les grosses entreprises commerciales, les groupes immobiliers et fait bien peu pour améliorer les conditions du logement, du travail, des transports, de la vie sociale de la grande majorité des Toulousains, l’UCQ revendique une politique urbaine au service des habitants et contrôlée par eux.
Au service des habitants. Ils veulent que leurs véritables besoins et leurs aspirations à une vie meilleure soient satisfaits, qu’un cadre de vie plus humain favorise les échanges sociaux. Cela suppose que les décisions de politique urbaine, soustraites aux impératifs du profit, donnent la priorité à l’utilité sociale et non à des réalisations de prestige à l’usage de minorités privilégiées. Cela implique une planification urbaine contrôlant par la collectivité le prix des terrains, leur affectation, la localisation des emplois et des logements de façon à éviter la spéculation foncière, les coûts élevés de construction, la ségrégation sociale, les longs déplacements domicile-travail. Cela comporte un droit aux infrastructures urbaines de base, aux équipements sociaux et culturels de qualité pour tous les quartiers, un droit au logement décent à des prix en rapport avec les revenus des habitants, un droit de contrôle sur la qualité et le prix des produits. Cela nécessite la priorité à des transports en commun fréquents, rapides, non-polluants, à plus long terme gratuits et assurant de bonnes liaisons inter-quartiers. Cette priorité est liée au refus des voies autoroutières en plein tissu urbain.
Contrôlée par les habitants, grâce à la réalisation simultanée de quatre conditions : l’information systématique organisée par les administrations et la municipalité, sous une forme accessible à tous, des habitants et de leurs associations ; la consultation des habitants et des associations dès le stade de l’avant-projet pour tous les projets d’urbanisme et la prise en compte des résultats de ces consultations ; la reconnaissance de la capacité du droit de proposition des habitants. Ces propositions seront élaborées par ces derniers dans le cadre des ateliers populaires d’urbanisme, en liaison avec des techniciens de l’urbanisme et de l’architecture ; la mise en place de véritables pouvoirs de décision et de contrôle attribués aux habitants et associations tout au long de la réalisation des projets retenus.
Droit à l’information, droit de proposition, droit de décision, droit de contrôle, ce sont de « nouveaux droits » que les habitants doivent acquérir.

b. Des projets élaborés par les habitants.

Les comités de quartier ont contribué à dessiner une ville qui développe une réelle vie de quartier, non pas éclatée, confinée à la périphérie mais intégrée à l’ensemble de la ville et permettant l’épanouissement et la satisfaction des besoins sociaux de tous. D’où les propositions concrètes des associations de l’UCQ s’appuyant sur les revendications et aspirations des habitants : projets d’équipements de quartier.
Minimes : utiliser les Ateliers municipaux, que le POS prévoyait de transformer en jardin d’hiver, comme équipement du quartier, géré, animé par les habitants eux-mêmes (Ateliers du Temps Libre par le Comité du quartier Nord).
Saouzelong : le comité du quartier projette un équipement de quartier sur le terrain des Serres de la Ville, transférées ailleurs.
Les Saules : projet d’une maison de quartier et jardin public par le Comité Bûchers - Saules - Viadieu.
Fontaine – Lestang : un espace vert et sportif utilisant un vaste terrain inoccupé à côté des usines Paré.
Berges de la Garonne : projet de leur aménagement réalisé en collaboration par des architectes et des habitants du quartier.
Rangueil : création d’un équipement de quartier géré par les habitants de la ZUP.
Autant d’actions précises qui vont dans le même sens : permettre aux Toulousains de se réapproprier leurs conditions de vie.

c. L’atelier populaire d’urbanisme.

L’UCQ s’est donné les moyens de conduire une analyse d’ensemble sur l’urbanisme (APU). Articuler les luttes à la réflexion collective pour un autre urbanisme, tel est le rôle de l’APU. En 1978-1979, l’APU a rassemblé, collecté les observations concernant le POS de Toulouse faites par chacune des associations de l’UCQ. Cela lui a permis de faire la critique globale du POS. Depuis des années, l’UCQ et ses comités ont analysé la question des déplacements urbains et des transports en commun répondant aux besoins des Toulousains.
C’est pour marquer la volonté de l’UCQ d’affirmer le droit de proposition des habitants que l’APU a, en février 1981, officiellement déposé un contre-programme au concours municipal pour l’aménagement du site des casernes Compans-Caffarelli.

Contrairement à l’évolution actuelle, l’UCQ rappelle que les quartiers centraux ne sont pas dans le domaine réservé de la bourgeoisie et des autres classes privilégiées. La majorité des habitants de Toulouse, donc les classes populaires, affirment leur droit d’y résider et, pour les habitants des quartiers périphériques et des banlieues, d’y accéder facilement et pas seulement pour y travailler et y consommer mais aussi pour y utiliser les équipements collectifs. Le « contre-programme Compans-Caffarelli » de l’UCQ concrétise ces objectifs : celui de bien marquer la volonté des classes populaires de ne pas abandonner le centre ; celui d’enrayer au centre-ville la logique de la valorisation foncière et donc du changement social par l’argent.
Six axes du contre-programme en découlent :

  • 1. priorité à l’implantation de l’habitat social dans l’espace libéré.
  • 2. maîtriser la transformation des quartiers voisins tant sur le plan foncier que sur celui de l’immobilier afin que les habitants actuels puissent y rester et que des familles de même statut social puissent y venir habiter.
  • 3. réaliser des équipements de quartier pour le développement de la vie sociale.
  • 4. si un jardin public est indiscutablement nécessaire pour les habitants de cette partie de Toulouse, celui-ci ne doit pas être un espace vert décoratif mais un lieu de loisirs divers et d’échanges sociaux.
  • 5. considérant la localisation du site des casernes à proximité immédiate du centre-ville, utiliser les terrains libérés pour réaliser des équipements centraux collectifs à l’usage de tous les Toulousains.
  • 6. priorité aux transports en commun : leur réseau et leur fonctionnement, totalement réorganisés, permettront aux Toulousains d’accéder au centre­ ville facilement, rapidement, le soir comme dans la journée et gratuitement.
    Pour répondre au choix d’un quartier urbain, l’intégration du futur espace, actuellement dénommé Compans-Caffarelli, doit se faire selon trois directions : avec les quartiers voisins (Arnaud-Bernard, Honoré de Cerres - Châlets, Lascroses -Amidonniers), avec le centre de Toulouse, avec l’ensemble de l’agglomération. Ce souci répond à la volonté de rompre avec le zonage urbain qui crée des espaces spécialisés tels que les cités-dortoirs ou les cités administratives ou encore les zones industrielles. Morcellement des fonctions, autant de zones difficiles à vivre. Le choix de l’APU est donc de réaliser sur le site des casernes un quartier urbain : un véritable morceau de ville et non pas un centre administratif à l’aspect de ville morte une fois les bureaux fermés. D’où l’importance d’y construire de nombreux logements sociaux : un millier, soit 4 à 5 000 personnes (familles de travailleurs, personnes âgées, jeunes, immigrés). Pour ces milliers de personnes, mais aussi pour les habitants des quartiers alentour, des équipements collectifs, le jardin de 3 à 4 hectares contribueront à développer la vie sociale. Et, pour l’ensemble des Toulousains, implanter sur deux à trois hectares un équipement collectif central accueillant réunions, manifestations, activités de création. Enfin, envisager sur le site des activités économiques : artisanat, commerces, ateliers industriels non polluants.
    Ce nouveau quartier urbain central, populaire, doit être un lieu d’innovation technique et d’expérimentation sociale. En incitant aux recherches techniques afin de construire un habitat social de qualité, en matérialisant les acquis et les revendications des mouvements sociaux (travailleurs, habitants, femmes, écologistes, consommateurs, usagers...) sur le plan de la vie collective et sur celui de la vie privée, ce nouveau quartier devrait concrétiser la volonté d’un autre urbanisme à Toulouse, rompant avec celui du profit et de l’inégalité sociale, recherchant un ville autrement construite afin de répondre aux aspirations de la grande majorité des citadins à une vie meilleure.

Christian BÉRINGUIER

[1Ch Béringuier et al., « Toulouse, une ville, un débat », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest. Sud-Ouest Européen 54, no 1 (1983) : 145‑68, https://doi.org/10.3406/rgpso.1983.3924. NdE

[2Ce document a été rédigé par Christian Béringuier à partir de dossiers élaborés par l’UCQ (41, avenue de Fronton, 31200 Toulouse) et l’APU [Agence Populaire d’Urbanisme NdE] (7, Descente de la Halle aux Poissons, 31000 Toulouse).

[3Zone à Urbaniser en Priorité : procédure administrative opérante entre 1959 et 1967 pour permettre de créer des quartiers à partir de rien avec logements, commerces et équipements. Créées par le décret N°58-1464 du 31 décembre 1958 en 12 ans 197 ZUP sont aménagées créant 2,2 millions de logements. À Toulouse il y aura 3 ZUP Bagatelle, le Mirail et donc Rangueil. La loi d’action foncière de 1967 créera des Zones d’Aménagement Concertés (ZAC), les dernières ZUP seront créées en 1969. La ZAC offre une part plus importante aux promoteurs. [nde

[4Plan d’Occupation des Sols. Document d’urbanisme créé par la loi d’orientation foncière de 1967 il est remplacé par les Plan Locaux d’Urbanisme par la loi ALUR du 24 mars 2014. « [nde

[5Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme NdE