Pendant quelques semaines nous allons publier une série de documents sonores qui racontent l’avenue de Lyon avant et après sa disparition. Les documents, que nous avons réunis concernent la période 2010 et 2022, mais la plupart ont été collectés ces 3 dernières années. Nous espérons, par ce travail, contribuer à conjurer l’oubli et la disparition qui pèse sur ce morceau de la ville.
Est-ce qu’on ce serait intéressé à ce quartier sans le projet qui est annoncé dans Grand Toulouse n°23 du second semestre 2010 [1] ? Pas sûr, l’avenue de Lyon et ces alentours n’attire pas vraiment l’attention et reste un endroit peu connu des habitant·es de Toulouse. La zone qui nous intéresse est délimitée par, le canal du midi au sud et la voie ferrée au nord, avec la gare de marchandise et les ateliers de production ferroviaire. C’est une zone principalement industrielle avec de nombreux entrepôts et des ateliers industrielles. On parle ici de la parallèle à l’avenue, la rue du Maroc, et deux perpendiculaires de cette dernière, la rue Chabanon et la rue des jumeaux qui vont jusqu’au chemin du raisin qui lui serpente au milieu des hangars jusqu’au quartier des Minimes.
Dans les années 50, des opérations foncières d’envergures commencent à transformer la physionomie de cet espace, avec en particulier des immeubles de grandes hauteurs qui se construisent le long du canal. « La tour des minimes » construite à la fin des années 50 culmine à plus de 60 mètres, construite au sud, elle plonge une bonne partie de la rue Chabanon et de la rue des jumeaux dans l’ombre. Le canal lui-même devient une sorte d’autoroute urbaine dans les années 70 et va progressivement perdre sa fonction de transport de marchandise. Les derniers déchargements, sur le quai face à la placette au croisement du chemin du raisin et du boulevard des minimes, semblent datés de la fin de la décennie ou du début des années 80.
Le résultat de cette histoire est un faubourg avec une physionomie un peu étrange. Des maisons de deux étages, des petits immeubles de trois à quatre étages pour les petites rues Chabanon et Jumeaux, flanquées d’immeuble très haut au sud et de la gare de marchandise au nord. Pour l’avenue de Lyon, on compte 21 bâtiments de 3 à 5 étages pour l’ilot Lyon – Maroc et 18 bâtiments sur l’îlot attenant à la gare. On trouvait alors avant 2012 : un magasin de musique, un studio d’enregistrement, une épicerie, une supérette, un semi-grossiste de produit asiatique, 1 comptoir de matériel électrique, 5 bars dont un karaoké et un bar dancing, une station-service, 4 restaurants, un point phone, un centre de domiciliation d’entreprise, un coiffeur, un cordonnier, 3 snacks, une boulangerie… Dans les rues attenantes, trois garages, un studio de musique et de répétition, des ateliers d’artistes, un centre de formation d’animation, une imprimerie, une radio, un centre d’accueil de jour pour personnes précaires. C’est un inventaire imprécis reconstitué à partir de témoignages et de nos propres souvenirs, certainement que nous oublions des choses. Il ne faudrait pas oublier aussi les travailleuses du sexe qui officient dans la zone.
Quartier de gare avec de nombreuses activités, il n’a pas la réputation du quartier Belfort [2]. Il a pourtant connu des heures de gloire avec une forte activité autant diurne que nocturne, peut-être plus lié aux travailleurs du rail et aux artisans du quartier et moins aux noctambules et fêtards. Ces derniers se recrutent peut-être plus dans des classes qui savent garder leurs souvenirs et écrirent leur histoire. Les nombreux logements en font pleinement un quartier d’habitation mais il n’est pas tout à fait rattaché au Faubourg Bonnefoy plus résidentiel. La voie ferrée fait une coupure nette entre les deux espaces. C’est peut-être pour cela qu’il a été décidé de rayer ce quartier de la carte de la ville au milieu des annnées 2000 [3]. Dès lors, l’avenue de Lyon et la rue du Maroc ont été dévitalisées, petit et petit. L’entretien à cessé, les habitant·es sont parties plus ou moins volontairement. Les immeubles ont été murés, pour être finalement rasés à partir de 2020. C’est un processus long et d’une grande violence et c’est dans son déroulement que nous nous attachons à faire l’archives de cette disparition. « Il devrait déjà penser aux habitants qui y vivent. (…) Notre enfance disparait en même que ces immeubles se construisent » dit Saïd dans le documentaire un train peut en cacher un autre réalisé en 2013. On y entend aussi un cordonnier, qui déjà évoque le manque d’informations et le mépris dans lesquels sont laissé les habitant·es et commercant·es.
Ce documentaire nous sert de mémoire, de point de départ. Nous ne l’avons pas réalisé, mais c’est l’archive sonore la plus ancienne que nous possédons où des habitant·es du quartier s’exprime sur ce qui va leur arriver. Nous sommes à ce moment là au début du processus de rachat et d’expropriation conduit par la métropole. On y entend un quartier encore vivant, mais aussi des prémisses d’une lutte pour le défendre. À ce moment, la Campagne pour la Réquisition l’Entraide et l’Autogestion pouvait écrire « Quartier Autogéré » à l’entrée du quartier Bonnefoy [4]. Le documentaire donne d’ailleurs la parole à l’une des personnes qui squattent alors dans le quartier. Nous reviendrons plus longuement sur les luttes et résistances qui ont marquées cette période.
Ce que nous avons entrepris de raconter commence à la toute fin des années 2000 et n’est toujours pas fini. Il faut songer qu’à ce moment là la FIFA venait tout juste d’accorder le mondial de football au Qatar, que les souvenirs de la lutte contre le CPE était encore tout frais, que nous ne savions pas qui était Macron et que Rihanna n’avait pas encore chanté Diamond.
Nous ne voulons pas que l’histoire de cette destructions soient laissées aux seuls aménageurs, nous n’avons pas non plus la nostalgie d’un quartier d’antan "populaire et conviviale". Nous avons enregistré des personnes qui vivent ou travail dans ce quartier, nous avons aussi collecté des paroles d’aménageurs, et fait un suivi photographique pendant près de 10 ans. Une archives c’est "Ensemble de documents hors d’usage courant, rassemblés, répertoriés et conservés pour servir à l’histoire d’une collectivité ou d’un individu." [5]
Nous publierons ici, chaque semaine, une nouvelle entrée.
[1] voir l’article TESO ? What’s that fuck !.
[2] Vous pouvez entendre un peu de l’histoire du quartier Belfort ici.
[3] On reviendra plus longuement sur le projet dans un article prochain.
[4] Voir l’article Une histoire de la créa.